C’est
Pour les amateurs d’opéra, l’argument est un classique du genre. Un homme et une femme s’aiment, mais leur amour est impossible. Pourtant, ils s’aimeront à en mourir et auront un héritier. En bons fantômes, les héros contrariés de l’histoire évoquent sans conteste les grands livrets du XIXème siècle. Ainsi, l’héroïne, Dame Blanche, est une amoureuse éplorée des plus convaincante, tandis que le héros, sculpteur de son état, s’inscrit dans la droite ligne des héros maudits. L’œuvre oscille savamment entre le nonsense anglais et l’opéra-comique français du XIXèmesiècle.
L’argument tout d’abord. L’action se passe au château de Chambièvre, un magnifique monument mélangeant tous les styles et ayant vu défiler de nombreux rois, dont Stanislas, Dagobert, Loulou le XVème ou encore François Dernier. Dans ce vieux château qui tombe en ruine, habitants et employés sont spectateurs d’événements surnaturels. Ici, des voix se font entendre, là un buste change de place. Lors d’un orage, une lucarne tombe du toit. Sur celle-ci, la sculpture en ronde-bosse d’une femme dont le visage a été effacé, non pas par l’usage du temps, mais volontairement. Qui est cette femme et pourquoi son visage a-t-il été effacé ? C’est ce que nous découvrirons au fil des épisodes de cette série.
Le livret se caractérise par son humour absurde so British et un florilège de tirades que Scribe, Barbier et Carré n’auraient pas renié. Ainsi s’enchaînent de somptueux vers, tels que « joie ineffable », « buvons à la renaissance ! » ou encore « les revenants n’ont qu’à bien se tenir ! ». Un régal. Les échanges entre l’administratrice administrative et la propriétaire beaucoup trop bourgeoise pour être acceptable sont propice à la confrontation de deux mondes diamétralement opposés. La vie des gardiens et des employés du château confirme que les femmes sont définitivement plus dégourdies que les hommes et les fantômes d’une autre époque s’aiment comme on s’aimait à une autre époque. Les chœurs ne sont pas en reste, puisque leurs apparitions sont minutieusement saupoudrées et agissent en vrai touristes. Leurs costumes semblent sortir tout droit d’un livre de photos de Martin Parr, ce qui souligne également l’intonation anglaise de l’œuvre.
L’astucieux décor enfin, est composé de volumes colorés mis en place par trois facétieux fantômes, le tout formant un mélange de styles à l’image du château, dont les couleurs des volumes matérialisent les différentes époques de sa construction et les futures scènes de l’opéra. Ainsi, on visite tour à tour la cuisine, la chapelle, la salle de billard ou encore le jardin. Les volumes se font et se défont au gré des besoins de l’œuvre et de l’envie des fantômes.
En ce dimanche gris, « La lucarne sans visage » aura égayé l’après-midi des spectateurs, ravis tant par la musique que par le ton humoristique de l’œuvre. Applaudissements et bis étaient amplement mérités.
Vies de château – saison 1 / épisode 1 : La lucarne sans visage
Soup’opéra
Livret et musique de Magacile (Magali Barraud & Cécile Capdessus)
Sous la direction de Anne Chew-Gadioux
Dans le cadre de l’atelier d’art lyrique Philidor
Mise en scène : Florence Barikovsky
Décors : Bernard Trinez
Dame Blanche : Marie-Christine Soria-Piles
Le sculpteur, « l’amant maudit » : Patrick Folliat
L’administratrice : Gisèle Boullais
La châtelaine : Blandine Piedallu
Le chapelain dit « l’abbé Jabot » : Yves Gadioux-Chew
Mauricette : Jacqueline Coudert
Robert : Bernard Trinez
Muriel : Dominique Van Den Heede
Les visiteurs / les mécènes : Ensembles vocaux du Conservatoire de l’Agglo du Pays de Dreux
Les fantômes / troupe de populaires : Didier Coquelel, Christian Gatineau, François Guyot
Piano : Florence Allano